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Vers la fin du mois de septembre, l’abbé Picot vint faire une visite de cérémonie avec une soutane neuve qui ne portait encore que huit jours de taches ; et il présenta son successeur, l’abbé Tolbiac. C’était un tout jeune prêtre maigre, fort petit, à la parole emphatique, et dont les yeux, cerclés de noir et caves, indiquaient une âme violente.

Le vieux curé était nommé doyen de Goderville.

Jeanne ressentit une vraie tristesse de ce départ. La figure du bonhomme était liée à tous ses souvenirs de jeune femme. Il l’avait mariée, il avait baptisé Paul, et enterré la baronne. Elle ne se figurait pas Étouvent sans la bedaine de l’abbé Picot passant le long des cours des fermes ; et elle l’aimait parce qu’il était joyeux et naturel.

Malgré son avancement il ne semblait pas gai. Il disait : « Ça me coûte, ça me coûte, madame la comtesse. Voilà dix-huit ans que je suis ici. Oh ! la commune rapporte peu et ne vaut point grand’chose. Les hommes n’ont pas plus de religion qu’il ne faut, et les femmes, les femmes, voyez-vous, n’ont guère de conduite. Les filles ne passent à l’église pour le mariage qu’après avoir fait un pèlerinage à Notre-Dame du Gros-Ventre, et la fleur d’oranger ne vaut pas cher dans le pays. Tant pis, je l’aimais, moi. »

Le nouveau curé faisait des gestes d’impatience, et devenait rouge. Il dit brusquement : « Avec moi, il faudra que tout cela change. » Il avait l’air d’un enfant rageur, tout frêle et tout maigre dans sa soutane usée déjà, mais propre.

L’abbé Picot le regarda de biais, comme il faisait en ses moments de gaieté, et il reprit : « Voyez-vous,