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Au bout de huit jours elle n’y songeait plus, accoutumée à la physionomie nouvelle de sa mère, et refoulant peut-être ses craintes, comme on refoule, comme on rejette toujours, par une sorte d’instinct égoïste, de besoin naturel de tranquillité d’âme, les appréhensions, les soucis menaçants.

La baronne, impuissante à marcher, ne sortait plus qu’une demi-heure chaque jour. Quand elle avait accompli une seule fois le parcours de « son » allée, elle ne pouvait se mouvoir davantage et demandait à s’asseoir sur « son » banc. Et, quand elle se sentait incapable même de mener jusqu’au bout sa promenade, elle disait : « Arrêtons-nous ; mon hypertrophie me casse les jambes aujourd’hui. »

Elle ne riait plus guère, souriait seulement aux choses qui l’auraient secouée tout entière l’année précédente. Mais comme ses yeux étaient demeurés excellents, elle passait des jours à relire Corinne ou les Méditations de Lamartine ; puis elle demandait qu’on lui apportât le tiroir « aux souvenirs ». Alors ayant vidé sur ses genoux les vieilles lettres douces à son cœur, elle posait le tiroir sur une chaise à côté d’elle et remettait dedans, une à une, ses « reliques », après avoir lentement revu chacune. Et, quand elle était seule, bien seule, elle en baisait certaines, comme on baise secrètement les cheveux des morts qu’on aima.

Quelquefois, Jeanne, entrant brusquement, la trouvait pleurant, pleurant des larmes tristes. Elle s’écriait : « Qu’as-tu, petite mère ? » Et la baronne, après un long soupir, répondait : « Ce sont mes reliques qui m’ont fait ça. On remue des choses qui ont été si bonnes et qui sont finies ! Et puis, il y a des personnes