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Sa tête travaillait, raisonnait, unissait les faits, rapprochait les circonstances. Comment n’avait-elle pas deviné plus tôt ? Comment n’avait-elle rien vu ? Comment n’avait-elle pas compris les absences de Julien, le recommencement de ses élégances passées, puis l’apaisement de son humeur ? Elle se rappelait aussi les brusqueries nerveuses de Gilberte, ses câlineries exagérées, et, depuis quelque temps, cette espèce de béatitude où elle vivait, et dont le comte était heureux.

Elle remit au pas son cheval, car il lui fallait gravement réfléchir, et l’allure vive troublait ses idées.

Après la première émotion passée, son cœur était redevenu presque calme, sans jalousie et sans haine, mais soulevé de mépris. Elle ne songeait guère à Julien ; rien ne l’étonnait plus de lui ; mais la double trahison de la comtesse, de son amie, la révoltait. Tout le monde était donc perfide, menteur et faux. Et des larmes lui vinrent aux yeux. On pleure parfois les illusions avec autant de tristesse que les morts.

Elle se résolut pourtant à feindre de ne rien savoir, à fermer son âme aux affections courantes, à n’aimer plus que Paul et ses parents ; et à supporter les autres avec un visage tranquille.

Sitôt rentrée, elle se jeta sur son fils, l’emporta dans sa chambre et l’embrassa éperdument, pendant une heure sans s’arrêter.

Julien revint pour dîner, charmant et souriant, plein d’intentions aimables. Il demanda : « Père et petite mère ne viennent donc pas cette année ? »

Elle lui sut tant de gré de cette gentillesse qu’elle lui pardonna presque la découverte du bois ; et un violent désir l’envahissant tout à coup de revoir bien vite les