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L’homme aussitôt devint inquiet, troublé dans ses habitudes de cautèle normande. Il répliqua d’une voix plus vive, mis en défiance : « C’est selon, p’t’être que oui, p’t’être que non, c’est selon. »

Mais le baron s’irritait de ces tergiversations : « Sacrebleu ! répondez franchement : est-ce pour ça que vous venez, oui ou non ? La prenez-vous, oui ou non ? »

L’homme, perplexe, ne regardait plus que ses pieds : « Si c’est c’que dit m’sieu l’curé, j’la prends ; mais si c’est c’que dit m’sieu Julien, j’la prends point. »

— Qu’est-ce que vous a dit M. Julien ?

— M’sieu Julien, i m’a dit qu’j’aurais quinze cents francs ; et m’sieu l’curé i m’a dit que j’aurais vingt mille ; j’ veux ben pour vingt mille, mais j’ veux point pour quinze cents.

Alors la baronne, qui restait enfoncée en son fauteuil, devant l’attitude anxieuse du rustre, se mit à rire par petites secousses. Le paysan la regarda de coin, d’un œil mécontent, ne comprenant pas cette gaieté, et il attendit.

Le baron, que ce marchandage gênait, y coupa court. « J’ai dit à M. le curé que vous auriez la ferme de Barville, votre vie durant, pour revenir ensuite à l’enfant. Elle vaut vingt mille francs. Je n’ai qu’une parole. Est-ce fait, oui ou non ? »

L’homme sourit d’un air humble et satisfait, et devenu soudain loquace : « Oh ! pour lors, je n’dis pas non. N’y avait qu’ça qui m’opposait. Quand m’sieu l’curé m’na parlé, j’voulais ben tout d’suite, pardi, et pi j’étais ben aise d’satisfaire m’sieu l’baron, qui me r’vaudra ça, je m’ le disais. C’est-i pas vrai, quand on