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dû, au moins, songer à notre nom et à notre situation. »

Et il parlait d’une voix sévère, en homme fort de son droit et de la logique de son raisonnement. Le baron, troublé par cette argumentation inattendue, restait béant devant lui. Alors Julien, sentant son avantage, posa ses conclusions : « Heureusement que rien n’est fait encore ; je connais le garçon qui la prend en mariage, c’est un brave homme, et avec lui tout pourra s’arranger. Je m’en charge. »

Et il sortit sur-le-champ, craignant sans doute de continuer la discussion, heureux du silence de tous, qu’il prenait pour un acquiescement.

Dès qu’il eut disparu, le baron s’écria, outré de surprise et frémissant : « Oh ! c’est trop fort, c’est trop fort ! »

Mais Jeanne, levant les yeux sur la figure effarée de son père, se mit brusquement à rire, de son rire clair d’autrefois, quand elle assistait à quelque drôlerie.

Elle répétait : « Père, père, as-tu entendu comme il prononçait : vingt mille francs ? »

Et petite mère, chez qui la gaieté était aussi prompte que les larmes, au souvenir de la tête furieuse de son gendre, et de ses exclamations indignées, et de son refus véhément de laisser donner à la fille séduite par lui, de l’argent qui n’était pas à lui, heureuse aussi de la bonne humeur de Jeanne, fut secouée par son rire poussif, qui lui emplissait les yeux de pleurs. Alors, le baron partit à son tour, gagné par la contagion ; et tous trois, comme aux bons jours passés, s’amusaient à s’en rendre malades.

Quand ils furent un peu calmés, Jeanne s’étonna : « C’est curieux, ça ne me fait plus rien. Je le regarde