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quittée pour cette fille. Voilà pourquoi il la laissait dormir seule !

Elle en savait assez, maintenant, elle ne voulait plus rien apprendre ; elle cria : « Va-t’en, va-t’en ! » Et comme Rosalie ne bougeait point, anéantie, Jeanne appela son père : « Emmène-la, emporte-la. » Mais le curé, qui n’avait encore rien dit, jugea le moment venu de placer un petit sermon.

— C’est très mal, ce que tu as fait là, ma fille, très mal ; et le bon Dieu ne te pardonnera pas de sitôt. Pense à l’enfer qui t’attend si tu ne gardes pas désormais une bonne conduite. Maintenant que tu as un enfant, il faut que tu te ranges. Mme  la baronne fera sans doute quelque chose pour toi, et nous te trouverons un mari…

Il aurait longtemps parlé, mais le baron ayant de nouveau saisi Rosalie par les épaules, la souleva, la traîna jusqu’à la porte, et la jeta, comme un paquet, dans le couloir.

Dès qu’il fut revenu, plus pâle que sa fille, le curé reprit la parole : « Que voulez-vous ? elles sont toutes comme ça dans le pays. C’est une désolation, mais on n’y peut rien, et il faut bien un peu d’indulgence pour les faiblesses de la nature. Elles ne se marient jamais sans être enceintes, jamais, Madame. » Et il ajouta souriant : « On dirait une coutume locale. » Puis, d’un ton indigné : « Jusqu’aux enfants qui s’en mêlent. N’ai-je pas trouvé l’an dernier dans le cimetière, deux petits du catéchisme, le garçon et la fille ! J’ai prévenu les parents ! Savez-vous ce qu’ils m’ont répondu ? « Qu’voulez-vous, monsieur l’curé, c’est pas nous qui leur avons appris ces saletés-là, j’y pouvons rien. »