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Et, les nuages s’étant fendus, le fond bleu du firmament parut ; puis la déchirure s’agrandit comme un voile qui se déchire ; et un beau ciel pur d’un azur net et profond se développa sur le monde.

Un souffle frais et doux passa, comme un soupir heureux de la terre ; et, quand on longeait des jardins ou des bois, on entendait parfois le chant alerte d’un oiseau qui séchait ses plumes.

Le soir venait. Tout le monde dormait maintenant dans la voiture, excepté Jeanne. Deux fois on s’arrêta dans des auberges pour laisser souffler les chevaux et leur donner un peu d’avoine avec de l’eau.

Le soleil s’était couché ; des cloches sonnaient au loin. Dans un petit village on alluma les lanternes ; et le ciel aussi s’illumina d’un fourmillement d’étoiles. Des maisons éclairées apparaissaient de place en place, traversant les ténèbres d’un point de feu ; et tout d’un coup, derrière une côte, à travers des branches de sapins, la lune, rouge, énorme, et comme engourdie de sommeil, surgit.

Il faisait si doux que les vitres demeuraient baissées. Jeanne, épuisée de rêves, rassasiée de visions heureuses, se reposait maintenant. Parfois l’engourdissement d’une position prolongée lui faisait rouvrir les yeux ; alors elle regardait au dehors, voyait dans la nuit lumineuse passer les arbres d’une ferme, ou bien quelques vaches çà et là couchées en un champ, et qui relevaient la tête. Puis elle cherchait une posture nouvelle, essayait de ressaisir un songe ébauché ; mais le roulement continu de la voiture emplissait ses oreilles, fatiguait sa pensée et elle refermait les yeux, se sentant l’esprit courbaturé comme le corps.