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ne vaut ça. Mais si on allait se coucher. Vous devez être exténués, les enfants ? »

Remontée en sa chambre, la jeune femme se demandait comment deux retours aux mêmes lieux qu’elle croyait aimer pouvaient être si différents. Pourquoi se sentait-elle comme meurtrie, pourquoi cette maison, ce pays cher, tout ce qui, jusque-là, faisait frémir son cœur, lui semblaient-ils aujourd’hui si navrants ?

Mais son œil soudain tomba sur sa pendule. La petite abeille voltigeait toujours de gauche à droite, et de droite à gauche, du même mouvement rapide et continu, au-dessus des fleurs de vermeil. Alors, brusquement, Jeanne fut traversée par un élan d’affection, remuée jusqu’aux larmes devant cette petite mécanique qui semblait vivante, qui lui chantait l’heure et palpitait comme une poitrine.

Certes elle n’avait pas été aussi émue en embrassant père et mère. Le cœur a des mystères qu’aucun raisonnement ne pénètre.

Pour la première fois depuis son mariage elle était seule en son lit, Julien, sous prétexte de fatigue, ayant pris une autre chambre. Il était convenu d’ailleurs que chacun aurait la sienne.

Elle fut longtemps à s’endormir, étonnée de ne plus sentir un corps contre le sien, déshabituée du sommeil solitaire, et troublée par le vent hargneux du nord qui s’acharnait contre le toit.

Elle fut réveillée au matin par une grande lueur qui teignait son lit de sang ; et ses carreaux, tout barbouillés de givre, étaient rouges comme si l’horizon entier brûlait.