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leillée et légère des petites feuilles à peine ouvertes ; et, comme il suivait un étroit sentier, il s’arrêta, saisi d’étonnement, devant deux arbres enlacés.

Aucune image de son amour plus violente et plus émouvante ne pouvait frapper ses yeux et son âme : un hêtre vigoureux étreignait un chêne élancé.

Comme un amoureux désespéré au corps puissant et tourmenté, le hêtre, tordant ainsi que des bras deux branches formidables, enserrait le tronc du chêne en les refermant sur lui. L’autre, tenu par cet embrassement, allongeait dans le ciel, bien au-dessus du front de son agresseur, sa taille droite, lisse et mince, qui semblait dédaigneuse. Mais, malgré cette fuite vers l’espace, cette fuite hautaine d’être outragé, il portait dans le flanc les deux entailles profondes et depuis longtemps cicatrisées que les branches irrésistibles du hêtre avaient creusées dans son écorce. Soudés à jamais par ces blessures fermées, ils poussaient ensemble en mêlant leurs sèves, et dans les veines de l’arbre violé coulait et montait jusqu’à sa cime le sang de l’arbre vainqueur.

Mariolle s’assit pour les regarder plus longtemps. Ils devenaient, en son âme malade, symboliques, effrayants et superbes, ces deux lutteurs immobiles qui racontaient aux passants l’histoire éternelle de son amour.

Puis il se remit en marche, plus triste encore, et soudain, comme il allait, les yeux à terre et lente-