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lente d’échapper à cette suppliciante domination. Elle l’avait cloué sur une croix ; il y saignait de tous ses membres, et elle le regardait agoniser sans comprendre sa souffrance, contente même d’avoir fait ça. Mais il s’arracherait de ce poteau mortel, en y laissant des morceaux de son corps, des lambeaux de sa chair et tout son cœur déchiqueté. Il se sauverait comme une bête que des chasseurs ont presque tuée, il irait se cacher dans une solitude où il finirait peut-être par cicatriser ses plaies et ne plus sentir que les sourdes douleurs dont tressaillent jusqu’à leur mort les mutilés.

— Adieu donc, lui dit-il.

Elle fut saisie par la tristesse de sa voix et reprit :

— À ce soir, mon ami.

Il répéta :

— À ce soir… adieu.

Puis il la reconduisit à la porte du jardin, et revint s’asseoir, seul, devant le foyer.

Seul ! Qu’il faisait froid en effet ! Et qu’il était triste ! C’était fini ! Ah ! quelle horrible pensée ! Fini d’espérer, d’attendre, de rêver d’elle avec cette brûlure au cœur qui nous fait vivre par moments, sur cette sombre terre, à la façon des feux de joie allumés dans les soirs obscurs. Adieu les nuits d’émotion solitaire où presque jusqu’au jour il marchait à travers sa chambre en pensant à elle, et les réveils où il se disait en ouvrant les yeux : « Je la verrai tantôt à notre petite maison. »