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nais pas de plus belles, de plus saines. Je veux dire saines pour l’esprit. C’est une admirable route entre le ciel et la mer, une route de gazon, qui court sur cette grande muraille de rochers blancs et qui vous promène au bord du monde, au bord de la terre, au-dessus de l’Océan. Mes meilleurs jours sont ceux que j’ai passés étendu sur une pente d’herbes en plein soleil, à cent mètres au-dessus des vagues, à rêver. Me comprenez-vous ?

— Oui, monsieur, parfaitement.

— Maintenant, voulez-vous me permettre de vous poser une question ?

— Posez, monsieur.

— Croyez-vous que les autres planètes soient habitées ?

Je répondis sans hésiter et sans paraître surpris :

— Mais, certainement, je le crois.

Il fut ému d’une joie véhémente, se leva, se rassit, saisi par l’envie évidente de me serrer dans ses bras, et il s’écria :

— Ah ! ah ! quelle chance ! quel bonheur ! je respire ! Mais comment ai-je pu douter de vous ? Un homme ne serait pas intelligent s’il ne croyait pas les mondes habités. Il faut être un sot, un crétin, un idiot, une brute, pour supposer que les milliards d’univers brillent et tournent uniquement pour amuser et étonner l’homme, cet insecte imbécile, pour ne pas comprendre que la terre n’est rien qu’une poussière invisible dans la poussière des mondes, que notre système tout entier n’est rien que quelques molécules de vie sidérale qui mourront bientôt. Regardez la voie lactée, ce fleuve d’étoiles, et songez que ce n’est rien qu’une tache dans l’étendue qui est infinie. Songez à cela seulement dix minutes et vous comprendrez pourquoi nous ne savons rien, nous ne devinons rien, nous ne comprenons rien. Nous ne connaissons qu’un point, nous ne savons rien au-delà, rien au-dehors, rien de nulle part, et nous croyons, et nous affirmons, et nous définissons Dieu ! Ah ! ah ! ah !!! S’il nous était révélé tout à coup, ce secret de la grande vie ultra-terrestre, quel étonnement !… Mais non… mais non… je suis une bête à mon tour, nous ne le comprendrions pas, car notre esprit n’est fait que pour comprendre les choses de cette terre ; il ne peut s’étendre plus loin, il est limité, comme notre vie, enchaîné sur cette petite boule, qui nous porte, et il juge tout par comparaison. Voyez donc, monsieur, comme tout le monde est sot, étroit et persuadé de la puissance de notre intelligence, qui dépasse à peine l’instinct des animaux. Nous n’avons même pas la faculté de percevoir notre infirmité, nous sommes faits pour savoir le prix du beurre et du blé, et, au plus, pour discuter sur la valeur de deux chevaux, de deux bateaux, de deux ministres ou de deux artistes. — C’est tout. Nous sommes aptes tout juste à cultiver la terre et à nous servir maladroitement de ce qui est dessus. À peine commençons-nous à construire des machines qui marchent ; nous nous étonnons comme des enfants à chaque découverte que nous aurions dû faire depuis des siècles, si nous avions été des êtres supérieurs. Nous sommes encore entourés d’inconnu, même en ce monde où il a fallu des milliers d’années de vie intelligente pour soupçonner l’électricité.