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sa pensée ; et ce fut comme un grand éclair illuminant son existence, lui montrant toute l’infâme vérité, toute leur trahison, toute leur perfidie. Elle comprit leur longue astuce, leurs regards, sa bonne foi jouée, sa confiance trompée. Elle les revit l’un en face de l’autre, le soir sous l’abat-jour de sa lampe, lisant le même livre, se consultant de l’œil à la fin des pages.

Et, son cœur soulevé d’indignation, meurtri de souffrance, s’abîma dans un désespoir sans bornes.

Des pas retentirent ; elle s’enfuit et s’enferma chez elle.

Son mari, bientôt, l’appela.

— Viens vite. Mme Rosset va mourir.

Berthe parut sur sa porte et, la lèvre tremblante :

— Retournez seul auprès d’elle, elle n’a pas besoin de moi.

Il la regarda follement, abruti de chagrin, et il reprit :

— Vite, vite, elle meurt.

Berthe répondit :

— Vous aimeriez mieux que ce fût moi.

Alors il comprit peut-être, et s’en alla, remontant près de l’agonisante.

Il la pleura sans dissimulation, sans pudeur, indifférent à la douleur de sa femme qui ne lui parlait plus, ne le regardait plus, vivait seule murée dans le dégoût, dans une colère révoltée, et priait Dieu matin et soir.

Ils habitaient ensemble pourtant, mangeaient face à face, muets et désespérés.

Puis il s’apaisa peu à peu ; mais elle ne lui pardonnait point.

Et la vie continua, dure pour tous les deux.

Pendant un an, ils demeurèrent aussi étrangers l’un à l’autre que s’ils ne se fussent pas connus. Berthe faillit devenir folle.

Puis un matin étant partie dès l’aurore, elle rentra vers huit heures portant en ses deux mains un énorme bouquet de roses, de roses blanches, toutes blanches.

Et elle fit dire à son mari qu’elle désirait lui parler.

Il vint inquiet, troublé.