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l’épreuve tout l’hiver, et c’est seulement au printemps que sa demande fut agréée.

Le mariage eut lieu à Paris dans les premiers jours de mai.

Il était décidé qu’ils ne feraient point le classique voyage de noces. Après un petit bal, une sauterie de jeunes cousines qui ne se prolongerait point au delà de onze heures, pour ne pas éterniser les fatigues de cette journée de cérémonies, les jeunes époux devaient passer leur première nuit commune dans la maison familiale, puis partir seuls, le lendemain matin, pour la plage chère à leurs cœurs, où ils s’étaient connus et aimés.

La nuit était venue, on dansait dans le grand salon. Ils s’étaient retirés tous les deux dans un petit boudoir japonais, tendu de soies éclatantes, à peine éclairé, ce soir-là, par les rayons alanguis d’une grosse lanterne de couleur, pendue au plafond comme un œuf énorme. La fenêtre entr’ouverte laissait entrer parfois des souffles frais du dehors, des caresses d’air qui passaient sur les visages, car la soirée était tiède et calme, pleine d’odeurs de printemps.

Ils ne disaient rien ; ils se tenaient les mains en se les pressant parfois de toute leur force. Elle demeurait, les yeux vagues, un peu éperdue par ce grand changement dans sa vie, mais souriante, remuée, prête à pleurer, souvent prête aussi à défaillir de joie, croyant le monde entier changé par ce qui lui arrivait, inquiète sans savoir de quoi, et sentant tout son corps, toute son âme envahis d’une indéfinissable et délicieuse lassitude.

Lui la regardait obstinément, souriant d’un sourire fixe. Il voulait parler, ne trouvait rien et restait là, mettant toute son ardeur en des pressions de mains. De temps en temps, il murmurait : « Berthe ! » et chaque fois elle levait les yeux sur lui d’un mouvement doux et tendre ; ils se contemplaient une seconde, puis son regard à elle, pénétré et fasciné par son regard à lui, retombait.

Ils ne découvraient aucune pensée à échanger. On les laissait seuls ; mais parfois, un couple de danseurs jetait sur eux, en passant, un coup d’œil furtif, comme s’il eût été témoin discret et confident d’un mystère.