Page:Guy de Maupassant - Clair de lune.djvu/17

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et, courant à la porte, il beugla : Céleste, vite, Céleste !

La bonne épouvantée accourut ; il bredouillait tant il parlait rapidement.

— Mes bottes, mon sabre, ma cartouchière et le poignard espagnol qui est sur ma table de nuit, dépêche-toi !

Comme le paysan obstiné, profitant d’un instant de silence, continuait :

— Ça a devenu comme des poches qui me faisaient mal en marchant.

Le médecin exaspéré hurla :

— Fichez-moi donc la paix, nom d’un chien, si vous vous étiez lavé les pieds, ça ne serait pas arrivé.

Puis, le saisissant au collet, il lui jeta dans la figure :

— Tu ne sens donc pas que nous sommes en république, triple brute ?

Mais le sentiment professionnel le calma tout aussitôt, et il poussa dehors le ménage abasourdi, en répétant :

— Revenez demain, revenez demain, mes amis. Je n’ai pas le temps aujourd’hui.

Tout en s’équipant des pieds à la tête, il donna de nouveau une série d’ordres urgents à sa bonne :

— Cours chez le lieutenant Picart et chez le sous-lieutenant Pommel, et dis-leur que je les attends ici immédiatement. Envoie-moi aussi Torchebeuf avec son tambour, vite, vite.

Et quand Céleste fut sortie, il se recueillit, se préparant à surmonter les difficultés de la situation.

Les trois hommes arrivèrent ensemble, en vêtements de travail. Le commandant, qui s’attendait à les voir en tenue, eut un sursaut.

— Vous ne savez donc rien, sacrebleu ? L’empereur est prisonnier, la République est proclamée. Il faut agir. Ma position est délicate, je dirai plus, périlleuse.

Il réfléchit quelques secondes devant les visages ahuris de ses subordonnés, puis reprit :

— Il faut agir et ne pas hésiter ; les minutes valent des heures dans des instants pareils. Tout dépend de la promptitude des décisions. Vous, Picart, allez trouver le curé et sommez-le de sonner le tocsin pour réunir la population que