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Pourquoi ce demi-voile jeté sur le monde ? Pourquoi ces frissons de cœur, cette émotion de l’âme, cet alanguissement de la chair ?

Pourquoi ce déploiement de séductions que les hommes ne voyaient point, puisqu’ils étaient couchés en leurs lits ? À qui étaient destinés ce spectacle sublime, cette abondance de poésie jetée du ciel sur la terre ?

Et l’abbé ne comprenait point.

Mais voilà que là-bas, sur le bord de la prairie, sous la voûte des arbres trempés de brume luisante, deux ombres apparurent qui marchaient côte à côte.

L’homme était plus grand et tenait par le cou son amie, et, de temps en temps, l’embrassait sur le front. Ils animèrent tout à coup ce paysage immobile qui les enveloppait comme un cadre divin fait pour eux. Ils semblaient, tous deux, un seul être, l’être à qui était destinée cette nuit calme et silencieuse ; et ils s’en venaient vers le prêtre comme une réponse vivante, la réponse que son Maître jetait à son interrogation.

Il restait debout, le cœur battant, bouleversé, et il croyait voir quelque chose de biblique, comme les amours de Ruth et de Booz, l’accomplissement d’une volonté du Seigneur dans un de ces grands décors dont parlent les livres saints. En sa tête se mirent à bourdonner les versets du Cantique des Cantiques, les cris d’ardeur, les appels des corps, toute la chaude poésie de ce poème brûlant de tendresse.

Et il se dit : « Dieu peut-être a fait ces nuits-là pour voiler d’idéal les amours des hommes. »

Et il reculait devant le couple embrassé qui marchait toujours. C’était sa nièce pourtant ; mais il se demandait maintenant s’il n’allait pas désobéir à Dieu. Et Dieu ne permet-il point l’amour, puisqu’il l’entoure visiblement d’une splendeur pareille ?

Et il s’enfuit, éperdu, presque honteux, comme s’il eût pénétré dans un temple où il n’avait pas le droit d’entrer.