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une autre de placer son argent. Et il s’en alla après avoir décidé avec l’acquéreur qu’une contre-expertise aurait lieu le lendemain.

Quand il se trouva dans la rue, il regarda la colonne Vendôme avec l’envie d’y grimper, comme si c’eût été un mât de cocagne. Il se sentait léger à jouer à saute-mouton par dessus la statue de l’Empereur perché là haut dans le ciel.

Il alla déjeuner chez Voisin et but du vin à vingt francs la bouteille.

Puis il prit un fiacre et fit un tour au bois. Il regardait les équipages avec un certain mépris, oppressé du désir de crier aux passants : « Je suis riche aussi, moi. J’ai deux cent mille francs ! »

Le souvenir de son ministère lui revint. Il s’y fit conduire, entra délibérément chez son chef et annonça : — Je viens, Monsieur, vous donner ma démission. J’ai fait un héritage de trois cent mille francs. Il alla serrer la main de ses anciens collègues et leur confia ses projets d’existence nouvelle ; puis il dîna au Café Anglais.

Se trouvant à côté d’un monsieur qui lui parut distingué, il ne put résister à la démangeaison de lui confier, avec une certaine coquetterie, qu’il venait d’hériter de quatre cent mille francs.

Pour la première fois de sa vie il ne s’ennuya pas au théâtre, et il passa sa nuit avec des filles.

Six mois plus tard il se remariait. Sa seconde femme était très honnête, mais d’un caractère difficile. Elle le fit beaucoup souffrir.