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valeur. — Non, certes. — Mais alors, c’était un cadeau ! Un cadeau de qui ? Pourquoi ?

Il s’était arrêté, et il demeurait debout au milieu de l’avenue. Le doute horrible l’effleura. — Elle ? — Mais alors tous les autres bijoux étaient aussi des cadeaux ! Il lui sembla que la terre remuait ; qu’un arbre, devant lui, s’abattait ; il étendit les bras et s’écroula, privé de sentiment.

Il reprit connaissance dans la boutique d’un pharmacien où les passants l’avaient porté. Il se fit reconduire chez lui, et s’enferma.

Jusqu’à la nuit il pleura éperdument, mordant un mouchoir pour ne pas crier. Puis il se mit au lit accablé de fatigue et de chagrin, et il dormit d’un pesant sommeil.

Un rayon de soleil le réveilla, et il se leva lentement pour aller à son ministère. C’était dur de travailler après de pareilles secousses. Il réfléchit alors qu’il pouvait s’excuser auprès de son chef ; et il lui écrivit. Puis il songea qu’il fallait retourner chez le bijoutier ; et une honte l’empourpra. Il demeura longtemps à réfléchir. Il ne pouvait pourtant pas laisser le collier chez cet homme, il s’habilla et sortit.

Il faisait beau, le ciel bleu s’étendait sur la ville qui semblait sourire. Des flâneurs allaient devant eux, les mains dans leurs poches.

Lantin se dit, en les regardant passer : « Comme on est heureux quand on a de la fortune. Avec de l’argent on peut secouer jusqu’aux chagrins, on va où l’on veut, on voyage, on se distrait ! Oh ! si j’étais riche ! »

Il s’aperçut qu’il avait faim, n’ayant pas mangé depuis l’avant-veille. Mais sa poche était vide, et il se ressouvint du collier. Dix-huit mille francs ! Dix-huit mille francs ! c’était une somme, cela !

Il gagna la rue de la Paix et commença à se promener de long en large sur le trottoir, en face de la boutique. Dix-huit mille francs ! Vingt fois il faillit entrer ; mais la honte l’arrêtait toujours.

Il avait faim pourtant, grand faim, et pas un sou. Il se décida brusquement, traversa la rue en courant pour ne pas se laisser le temps de réfléchir, et il se précipita chez l’orfèvre.