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J’aime ça. C’est mon vice. Je sais bien que tu as raison ; mais on ne se refait pas. J’aurais adoré les bijoux, moi ! »

Et elle faisait rouler dans ses doigts les colliers de perles, miroiter les facettes des cristaux taillés en répétant : « Mais regarde donc comme c’est bien fait. On jurerait du vrai. »

Il souriait à son tour en déclarant : « Tu as des goûts de Bohémienne. »

Quelquefois, le soir, quand ils demeuraient en tête-à-tête au coin du feu, elle apportait sur la table où ils prenaient le thé la boîte de maroquin où elle enfermait la « pacotille », selon le mot de M. Lantin ; et elle se mettait à examiner ces bijoux imités avec une attention passionnée, comme si elle eût savouré quelque jouissance secrète et profonde ; et elle s’obstinait à passer un collier au cou de son mari pour rire ensuite de tout son cœur en s’écriant : « Comme tu es drôle ! » Puis elle se jetait dans ses bras et l’embrassait éperdument.

Comme elle avait été à l’Opéra, une nuit d’hiver, elle rentra toute frissonnante de froid. Le lendemain elle toussait. Huit jours plus tard elle mourait d’une fluxion de poitrine.

Lantin faillit la suivre dans la tombe. Son désespoir fut si terrible que ses cheveux devinrent blancs en un mois. Il pleurait du matin au soir, l’âme déchirée d’une souffrance intolérable, hanté par le souvenir, par le sourire, par la voix, par tout le charme de la morte.

Le temps n’apaisa point sa douleur. Souvent pendant les heures du bureau, alors que les collègues s’en venaient causer un peu des choses du jour, on voyait soudain ses joues se gonfler, son nez se plisser, ses yeux s’emplir d’eau ; il faisait une grimace affreuse et se mettait à sangloter.

Il avait gardé intacte la chambre de sa compagne où il s’enfermait tous les jours pour penser à elle ; et tous les meubles, ses vêtements mêmes demeuraient à leur place, comme ils se trouvaient au dernier jour.

Mais la vie se faisait dure pour lui. Ses appointements qui, entre les mains de sa femme, suffisaient à tous les besoins du ménage devenaient, à présent, insuffisants pour lui tout seul. Et il se demandait avec stupeur comment elle avait su s’y prendre pour lui faire boire toujours des vins excellents et