Page:Gustave Toudouze - Péri en mer, 1905.pdf/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tu ne me réponds pas, mignonne ?… Tu m’as pourtant reconnu, tu m’appelais tout à l’heure ; tu vois, je suis venu !… Il y a si longtemps, si longtemps !…

Sa main se portait, pesante, à son front comme pour en chasser des choses douloureuses ; mais il dompta son émotion, affermit sa voix :

— J’ai si souvent pensé à toi !… Oui, j’ai été coupable, oublieux ; mais j’ai été si puni, j’ai tant souffert, si tu savais !… Non, non, je ne puis pas raconter. À quoi bon revenir sur ce qui est passé ; à quoi bon remuer les boues malsaines qui m’ont pris, perdu dans ces pays de sauvages, dans ces régions de malheur !… À toi, à toi surtout, je ne peux pas dire !…

Une honte pesait sur ses yeux qui se baissèrent, sur ses épaules qui plièrent ; mais une énergie nouvelle le redressa ; il releva la tête, semblant défier le sort, il continua :

— On m’a cru mort, tout le monde !… Oh ! cette Proserpine, ça a été épouvantable !… Pas un homme n’a pu s’en tirer, pas un de ces rudes et durs matelots, qui riaient de moi et me battaient !… Seul, le mousse, le faible, a été épargné par les vagues, par les requins, et a été jeté sur la côte !… Puis, des aventures, sans nom, des souffrances, des entraînements !…

Il se tut encore, pour reprendre, mâchant les mots :