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courent la jetée, grimpent sur les falaises à pic du Grand-Gouin, atteignent le sémaphore de Pen-hat, poussent même jusqu’aux escarpements avancés du Toulinguet, cherchant à voir, se refusant à perdre tout espoir.

Dans les bouches un seul cri :

— Le canot est perdu !

Il y en a qui énumèrent les noms de ceux qui le montent, des dix canotiers de Corentin, accompagnant chaque nom de celui de la femme, du nombre d’enfants : des veuves, des orphelins, des foyers déserts !

Ces pitiés montent, grossissantes autour de celles qui ont là-bas un mari, un frère ou un père. Seul, Jean-Vincent-Corentin Garrec est célibataire ; une voix le fait remarquer :

— Il ne laisse personne derrière lui, au moins !

Mais une femme objecte, révélant pour la première fois le secret d’un amour qui commence à transsuder dans Camaret :

— Et Mariannik Guivarcʼh !

Héroïque, le visage pâle, les yeux rouges, retenant les larmes qui lui gonflent le cœur et soulèvent convulsivement sa poitrine, Mariannik, depuis le matin est sur pied, ne quittant la base du phare, où elle l’a aperçu pour la dernière fois, que pour aller s’asseoir sur les blocs énormes du Grand-Gouin, les mains jointes en une pose de prière, ses prunelles sombres fouillant le mystère du lointain.