Page:Gustave Toudouze - Péri en mer, 1905.pdf/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi, lorsqu’une barque a péri, c’est en ce lien funèbre que viennent errer les veuves, les mères, les orphelins, toutes celles qui ont perdu un mari, un fils, un père. Pendant neuf jours consécutifs, il est d’usage dans le pays de venir attendre là que l’Océan veuille bien rendre le corps inanimé de ceux qui ont succombé ; si, au bout de neuf jours, la mer n’a rien rendu, elles se décident seulement à prendre le deuil et à faire mettre une croix au cimetière : jamais plus elles ne reverront celui qu’elles attendaient.

Au pied des dunes, vers le milieu, à l’endroit même où s’étalent les derniers flocons des vagues, avant de s’envoler en impalpable poussière de pluie jusqu’au sémaphore perché à quelque mille mètres plus loin, une forme humaine va et vient, parfois se baissant pour fouiller les paquets d’algues jetés par la mer, tantôt les bras tendus vers l’étendue mouvante et bouleversée de l’Océan.

L’aube livide, qui commence à éclairer Camaret, n’arrive pas encore jusqu’ici et ne dissipe qu’à demi la pénombre grisâtre, laissant comme un fantôme de nuit dans cette excavation, où rugissent et se déchaînent toutes les furies de l’ouragan.

Des bandes de mouettes, de cormorans, de perroquets de mer, de goélands tournoient en poussant d’aigres cris et volent entre les rochers, se baignent dans l’écume de ces monstrueuses vagues projetées par une mer d’encre vers un ciel de plomb.