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chansons, il fallut bien reconnaître que la raison l’avait absolument quitté.

Il fut d’abord question de l’envoyer dans une maison de santé ; mais elle était si douce, si paisible, si peu gênante, que Pierre Guivarcʼh s’y opposa énergiquement, la recueillit et déclara qu’il ne s'en séparerait jamais.

Depuis elle vivait chez lui, allant et venant selon son humour, à son idée, ayant une liberté d’innocent animal lâché à travers les êtres et les choses, sans faire de mal à personne, se plaisant surtout avec les enfants, qui ne la martyrisaient pas, séduits par tout ce qu'elle leur racontait ou leur chantait. Seulement, dans ce calme, dans cette nuit déjà si profonde de ce joli cerveau d'oiselle battue des vents, sensible aux moindres variations atmosphériques, les jours noirs, c’étaient ceux où la mer devenait mauvaise, où soufflait le suroît, où les grosses vagues méchantes déferlaient jusque dans le Coréjou, balayant la jetée, jetant leur écume dans le port, et que, là-bas, au Toulinguet, grondait la mer immense et sans limites, la mer sauvage de l’Ouest, l’Atlantique.

Guivarcʼh, qui achevait de faire sa barbe, en sa méticuleuse propreté d’ancien matelot, resta une seconde, le rasoir levé, le menton barbouillé de mousse savonneuse, en entendant la bourrasque rugir plus dur et traîner sa plainte en miaulement aigre d’oiseau de tempête.