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Une autre photographie, juste à côté de celle du petit mousse, les montrait tous deux, le mari et la femme, Thomas et Périne Guivarcʼh : lui, en costume de second maître, la lèvre et le menton rasés, le collier de barbe épanoui en favoris jusque sous le cou, une face de vrai mathurin, aux épaules de bœuf, à la carrure massive ; elle, jolie sous l’ancienne coiffe à larges ailes des Camaretoises, le grand bonnet qu’on ne porte plus, le châle et le tablier de soie à bavette épinglée sur la poitrine.

Pierre soupira, secoué par cette vue, par cette crise d’attendrissement dont il n’avait pas l’habitude, songeant à tous ces morts laissés derrière lui, avec un peu de ce frisson de superstition qui traverse le cerveau des Bretons, quand ils évoquent ceux qui ne sont plus, ce frisson d’où sont sorties toutes les légendes de la terre de Bretagne.

Il écoutait le sifflement du vent, y retrouvant des plaintes de défunts, les voix aimées, les intonations connues, qui, à présent, revenues ainsi, l’emplissaient d’une sorte de crainte naïve et invincible, lui qui avait vu tant de choses, lui qui n’avait jamais eu peur de rien.

Peu à peu ces doux et lamentables fantômes s’évanouirent, ceux qui dormaient sous l’herbe grasse du cimetière, à Audierne, à Lescoff, à l’Aber-Vracʼh, à Camaret, sa mère, sa femme, plusieurs enfants, son frère, sa belle-sœur, ses