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Peu à peu ses regards se fixèrent sur les traits d’enfant qu’on distinguait encore, bien que le daguerréotype fût terriblement pâli ; une figure ronde, des prunelles bleues qui étaient venues blanches, un grand col rabattu découvrant le cou, la tenue classique du mousse, et, sous le verre du cadre, ces mots tracés à la plume, d’une encre jaunie, bue par la pâte du carton :

JEAN-MARIE HERVÉ GUIVARCʼH
né le cinq juin 1854
Péri en mer !
Naufrage de la Proserpine (1867)

Un certain attendrissement amollissait la face parcheminée du maître de port qui soupira :

— Pauvre petiot ! Tout de même, ça ferait un homme au jour d’aujord’hui, et un crâne !… Il ressemblait tant à mon défunt frère !

Dix-neuf ans déjà de cela ! Dix-neuf ans ! C’était au moment où lui, Pierre Guivarcʼh, son temps de service terminé, quittait définitivement la mer, passait aux retraités.

Il se le rappelait très nettement, maintenant que, dans ce gros silence battu par la bourrasque du dehors, ses souvenirs remontaient comme du fond d’un abîme plein de choses terribles, bouleversé soudain par un tourbillon inattendu : il revoyait la scène, la nouvelle tombant en foudre à Audierne,