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un fleuve d’un bout à l’autre de la vaste pièce, sous les mains expertes des friturières, en jupon court, en sabots, la coiffe blanche sans broderie enfermant leurs cheveux, le fichu de lainage, de cotonnade ou de toile de couleur croisé sur la poitrine, leur donnant un aspect uniforme.

Une odeur terrible montait, soufflant aux visages une écœurante exhalaison d’huile chaude, à laquelle se mêlait la senteur des énormes baquets, dans lesquels s’entassaient les détritus, la vidure des poissons, tout ce grouillement d’intestins et de têtes sanglantes, qui forme ce qu’on nomme le strong, et qui servira ensuite d’amorce commune pour affriander la sardine, appât bon marché, remplaçant mal la rogue, car il décompose plus vite le poisson.

Dans cette atmosphère empuantie, vivaient, gaies, insouciantes, ne semblant s’apercevoir de rien, une cinquantaine de femmes, de jeunes filles, dont les éclats de rire bondissaient incessamment d’un coin de la salle à l’autre, tandis qu’un vacarme continu houlait, composé de mille tapages divers, ébullition de l’huile bouillante, heurt des boîtes de zinc, tintement métallique, traînement des sabots cliquetant toujours.

Des lazzis, de grosses gaietés, des plaisanteries accueillaient les pêcheurs, qui, habitués à cette avalanche, répondaient dru et repartaient, de leur pesant dandinement de marins, s’arrêtant un