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s’est surpassé lui-même dans ce tour de force d’attendrir les plus raffinés sur cette existence en quelque sorte rudimentaire. Cet esprit supérieur s’est assimilé les pensées de cette humble campagnarde, il a réfléchi longuement les sensations que les spectacles les plus insignifiants devaient lui procurer. Il n’a pas indiqué une idée qui dépasse cette cervelle bornée…

Ce conte nous intéresse prodigieusement, en nous présentant une ménagère coiffée d’un bonnet et tenant un trousseau de clefs.

Hérodias est un tour de force dans le sens opposé. Le monde entier est rassemblé dans cette salle de banquet, où une Salomé plus implacable que celle de Regnault et plus fascinante que celle de Gustave Moreau, vient demander la tête de Jean. Voici Rome avec le proconsul Vitellius qui se gorge de viandes, avec Aulus, l’éphèbe cher au Tibère de Caprée, qui vomit entre une terrine de Comagène et un plat de merles roses ; voici Jérusalem avec le Tétrarque, les Sadducéens, les Pharisiens, les luttes religieuses, les formules hiératiques. Au fond de la citerne, Iaokanann crie ses anathèmes. Une page d’histoire se déroule ainsi devant le lecteur, étourdissante de mouvement, admirablement restituée jusqu’au moindre détail, instructive, terrible, émouvante. Dans cette composition magnifique tout à sa place, sa signification, son importance ; il n’est pas un coup de pinceau qui ne concoure à l’ensemble, qui ne jette une note utile dans le concert. Tout parle dans cet œuvre, ou d’innombrables personnages s’agitent sans confusion ; tout à son rôle, depuis l’umbo du bouclier qui porte l’image de César, jusqu’aux petites pantoufles en duvet de colibri qu’a chaussées la fille d’Hérodias pour danser.

En vingt-quatre heures l’univers a défilé devant nous, depuis le moment où Vitellius arrive dans sa grande litière rouge ornée de panaches et de miroirs, jusqu’au moment où, à la lumière vacillante des flambeaux qui s’éteignent dans la salle du festin, Antipas, resté seul, contemple fixement la tête coupée, tandis que des messagers courent vers la Galilée annoncer que les prophéties sont accomplies.

Ne supposez point que l’auteur ait cédé à la tentation puérile