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NOTES

comme la Cousine Bette, comme le Cousin Pons, de Balzac, et astreins-toi à le traiter sur un ton naturel, presque familier. » Flaubert, plutôt vaincu que convaincu, nous répondit : « Cela ne sera pas facile, mais j’essayerai. » Cette consultation eut sur lui une influence décisive ; il n’en pouvait méconnaître la bonne foi. Quoiqu’il se révoltât contre nos observations, il comprenait qu’elles étaient justes et, malgré qu’il en eût, elles avaient porté coup. Cela lui fut dur, mais salutaire ; bien souvent, au cours de notre existence, il m’a parlé de cette causerie et m’a dit : « J’étais envahi par le cancer du lyrisme, vous m’avez opéré ; il n’était que temps, mais j’en ai crié de douleur. »

« La conversation avait pris fin ; la maison frémissante de bruit nous apprenait que la nuit était passée ; nous regardâmes la pendule : il était 8 heures du matin.

« Pendant la journée qui suivit cette nuit sans sommeil, nous étions assis dans le jardin ; nous nous taisions, nous étions tristes en pensant à la déception de Flaubert et aux vérités que nous ne lui avions point ménagées. Tout à coup Bouilhet dit : « Pourquoi n’écrirais-tu pas l’histoire de Delamare ? » Flaubert redressa la tête et avec joie s’écria : « Quelle idée ! »

L’histoire de Delamare devint Madame Bovary (voir Madame Bovary, p. 484)

Sans le jugement sévère de Bouilhet et de Du Camp, peut-être n’aurions-nous jamais eu Madame Bovary, mais il appartient de dire aujourd’hui si la valeur de la Tentation de 1849 ne domine pas l’intransigeance de ce jugement. Dans tous les cas, Flaubert part pour Égypte n’oubliant pas la Tentation. Son échec a, pour lui, osé la question de son avenir littéraire, et qu’il soit au Caire, à Jérusalem, à Damas, en Grèce, il n’a qu’un objectif : reprendre la Tentation. À son retour à Croisset il discute de nouveau avec Bouilhet sur la valeur de son plan ; il désire connaître l’opinion de Théophile Gautier, qui lui répond par des boutades déconcertantes sur l’Art et la Beauté, et il se résigne à écrire Madame Bovary.

Le manuscrit de la première version de la Tentation comprend 541 feuillets, écrits d’un seul côté, sur papier grand format, enfermés dans un dossier en carton gris, sur lequel Flaubert a écrit :

LA TENTATION DE SAINT ANTOINE.

Messieurs les démons,
Laissez-moi donc.
Messieurs les démons,
Laissez-moi donc.

Mai 1848 – Septembre 1849.
Gustave Flaubert