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NOTES

Thèbes qui, pour éviter la persécution de Dèce, se serait réfugié au désert, vers le temps même de la naissance d’Antoine, et y aurait passé environ quatre-vingt-dix ans dans la plus complète solitude, logé dans un trou de rocher, nourri par des corbeaux, habillé par des palmiers et, finalement, enterré par des lions ; une légende, dont Athanase ne dit rien, veut même qu’Antoine, averti par une révélation divine, l’ait visité dans les jours de sa mort. Quoi qu’il faille retenir de ces récits merveilleux, il reste que saint Paul l’Ermite n’a été connu de personne de son vivant et que ce n’est pas son exemple qui a poussé saint Antoine au désert. Tout au contraire, l’initiative de saint Antoine se montra d’une étonnante fécondité : les disciples qui vinrent se former à Pispir et à Colzim n’y demeurèrent pas tous ; plusieurs acquirent, à leur tour, une grande renommée et devinrent les pères de nombreux anachorètes. Tels furent les deux Macaire, Amoun, Paphnuce, Hilarion qui implanta la vie érémitique en Palestine et beaucoup d’autres, dont Palladius nous conte les exploits dans son Histoire lausiaque, et qui sont tous les fils ou les petits-fils d’Antoine. Une sainte émulation les enflammait et comme un concours de macérations était constamment ouvert entre eux, « où chacun, dit Palladius, s’efforçait de surpasser les autres en mérites ». La virtuosité de saint Macaire d’Alexandrie humilia tellement les moines de saint Pakhôme, au milieu desquels il était venu s’établir incognito, qu’ils obligèrent leur père à le prier de s’en aller : « D’où nous as-tu amené, lui dirent-ils, cet homme sans chair, pour notre condamnation ? Chasse-le, ou nous t’avertissons que nous allons tous partir d’ici ». Ce ne fut pas seulement par son exemple visible et de son vivant que saint Antoine agit efficacement pour propager la vie érémétique : sa biographie, composée par Athanase, se répandit dans toute la chrétienté, y provoqua et y soutint quantité de vocations.

Tout de même, quand nous lisons dans les Confessions de saint Augustin (viii, 6, 15), que deux officiers du palais impérial de Trêves, pour avoir trouvé, par hasard, au cours d’une promenade, un exemplaire de la Vie de saint Antoine et l’avoir lu, abandonnent aussitôt le siècle et leurs fiancées, nous inclinons à croire que l’action du saint trouvait dans leur esprit un terrain bien préparé ; et que, plus généralement, cet étonnant phénomène de contagion mentale qui éclate vers le milieu du IVe siècle, n’est pas à expliquer uniquement par l’exemple de saint Antoine. Il saute aux yeux tout d’abord qu’une part considérable du mouvement monachique (du grec monos, seul) n’en dépend pas. Saint Pakhôme, qui naquit vers 288 et mourut vers 348, ne fut pas l’élève d’Antoine et ne le vit même jamais : ce fut dans sa propre inspiration ou dans des exemples fort étrangers au grand solitaire, qu’il puisa l’idée d’organiser la vie cénobitique (du grec bios, vie et boinos, commun), c’est-à-dire de réunir dans une enceinte