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NOTES

bons offices de deux « frères ». Il rendit l’âme en leur présence, vers 355, à l’âge de 105 ans.

Depuis plus de quatre-vingts années, il n’avait quitté le désert que deux fois : en 311, il était descendu à Alexandrie, pour encourager les fidèles persécutés par Maximin et, en 335, à la prière d’Athanase, il y était revenu, pour témoigner devant le peuple en faveur de l’orthodoxie contre les Ariens. Cependant sa gloire emplissait l’Égypte, dont, nous dit son biographe, « il était vraiment comme le médecin donné par Dieu ». Les empereurs Constance et Constant lui écrivirent avec respect, mais « il restait, après que les empereurs lui eurent écrit, tel qu’il était auparavant » ; il fallut même les instances de ses familiers pour le décider à écouter la lecture des missives impériales et à y faire réponse. Jamais, d’ailleurs, il ne se prêta à l’exploitation thaumaturgique de ses mérites : s’il consentit à prier sur des malades et des possédés, pour leur plus grand avantage, il s’y refusa aussi souvent, conseillant aux gens de s’adresser au Christ ou à des chrétiens plus avancés dans la grâce que lui-même. Il ne paraît avoir manqué ni de finesse ni d’à-propos ; plusieurs sophistes, qui cherchèrent à l’embarrasser, l’éprouvèrent pour leur confusion. Avant de mourir, il recommanda instamment aux deux disciples qui l’assistaient de cacher le lieu de sa sépulture, afin de dérober son corps aux honneurs excessifs que la coutume du pays réservait aux restes des saints personnages. Athanase prétend que ses désirs furent remplis, mais il faut croire que le secret finit par se divulguer, puisque les reliques de l’illustre solitaire se trouvent aujourd’hui, pour la plus grande partie, à Arles. Je ne dirai pas comment elles y sont venues et ne prouverai pas, non plus, leur authenticité.

Saint Antoine ne fut point un docteur, encore qu’il circulât sous son nom, au temps de saint Jérôme, sept lettres à divers monastères, tout « apostoliques » dans leur fond et leur forme ; il dut sa renommée à son genre de vie, à sa politeia, qui consistait à réduire les satisfactions du corps au minimum strictement indispensable pour assurer son existence, à plier l’esprit, presque sans autre détente que celle d’un sommeil écourté, à une perpétuelle méditation sur le salut éternel et les voies qui y mènent ; le travail manuel, auquel il donnait une part de son temps même à Pispir et à Colzim, n’interrompait pas sa prière ; et son constant désir était de rester toujours dans cet isolement et ce silence terribles qui, en quelques pays, remplacent, de nos jours, la peine de mort pour les plus abominables criminels. C’est là ce qu’on nomme la vie érémitique, du grec érémos qui veut dire désert, et saint Antoine l’a probablement menée le premier. Son originalité n’est point à chercher dans la rigueur de son ascétisme, mais dans l’effort qu’il a fait pour se ségréger entièrement du monde. Saint Jérôme nous conte bien l’histoire d’un certain Paul de