Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avarice.

Veux-tu des tas d’or, des palais, des peuples et des navires à voiles de pourpre, des bains de jaspe ?… Tu te rouleras sur les monceaux d’argent comme sur de la luzerne coupée, et tu entendras, au retentissement du métal, sonner dans ton cœur toutes les corruptions et les puissances.

antoine.

Non ! non ! j’aime mieux le retentissement de mon chapelet, le bois de mon crucifix et la terre dure de ma cabane !

l’envie.

Tout ce que tu n’as pu atteindre, je le ravalerai pour ta satisfaction ! Tu verras les doctes confondus, les grands abaissés, les riches appauvris, et les belles femmes dédaigneuses que tu convoitais, pleurant sous la lanterne d’un lupanar, avec des matelots et des charretiers qui leur cracheront à la figure.

la paresse.

Enfoui sous le sommeil, plonge-toi dans les béatitudes de l’inaction ! Ta pensée, comme un vautour hors d’haleine, ira de plus en plus rétrécissant son vol, pour s’abattre sur la terre. Tu savoureras l’immobilité du néant dans le bonheur de vivre, et tu arriveras à n’être plus qu’une sorte de palpitation, et comme une plante humaine.

la science
triomphante.

Je t’apprendrai la place où des soleils apparaîtront, et la caverne au bord des flots, où pourrit la momie de Cléopâtre. Je ressusciterai les siècles, je t’ouvrirai la Terre ; tu comprendras la Nature et l’Idée, le Bien et le Mal, et ton immense amour englobera, comme l’éther, l’universalité multiple de la Création. Une soif du vrai, plus désintéressée que l’espoir du paradis, te poussera vers Dieu, et tu le sentiras grandir dans le développement de ta pensée, comme le firmament qui s’élargira sous l’envergure chaque jour plus vaste de ta contemplation.

l’orgueil.

Il faut que tu te regardes comme le centre du mode. Tu seras chaste et tu seras fort, tout impassible et intelligent comme le