Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai conduit les patriarches qui s’en allaient chercher des femmes pour leur postérité. Je réglais le pas des dromadaires et l’occasion de la rencontre, au bord de la citerne ombragée d’un palmier jaune. Comme par des robinets d’argent, je lâchais les pluies ; je séparais les mers avec mon pied ; j’entre-choquais les cèdres avec mes mains ; j’ai déplié sur les collines les tentes de Jacob et conduit, à travers les sables, mon peuple qui s’enfuyait.

C’est moi qui ai brûlé Sodome. C’est moi qui ai englouti la terre sous le déluge ; c’est moi qui ai noyé Pharaon, avec les princes fils de rois, avec les chariots de guerre et les cochers.

Dieu jaloux, j’exécrais les autres dieux, les autres peuples, et je châtiais mon peuple d’une colère sans pitié. J’ai broyé les impurs, j’ai abattu les superbes, et ma désolation allait de droite et de gauche, comme un chameau qui est lâché dans un champ de maïs.

Pour délivrer Israël, je choisissais les simples. Des anges aux ailes de flammes leur parlaient dans les buissons ; les pâtres jetaient leur bâton et partaient à la guerre. Parfumées de nard, de cinnamome et de myrrhe, avec des robes transparentes et des chaussures à talon haut, des femmes pleines d’un cœur intrépide allaient trouver les capitaines et leur tranchaient la tête. Alors ma gloire éclatait plus sonore que les cymbales. Au retentissement de la foudre, elle a grondé sur les montagnes ; le vent qui passait emportait les prophètes ; ils se roulaient tout nus dans les ravines desséchées, ils se couchaient à plat ventre pour écouter la voix de la mer, et, se relevant tout à coup, se mettaient à crier mon nom.

Ils arrivaient la nuit dans la salle des rois, ils secouaient sur les tapis du trône la poussière de leurs manteaux, et, rappelant mes vengeances, parlaient de Babylone et des soufflets de l’esclavage. Les lions pour eux se faisaient doux, la flamme des fournaises s’écartait de leurs corps, et les magiciens, hurlant de rage, se lacéraient avec des couteaux.

J’avais gravé ma loi sur des tables de pierre : elle étreignait mon peuple, comme la ceinture du voyageur, qui lui soutient la taille. C’était mon peuple, — j’étais son Dieu ! La terre était à moi, les hommes étaient à moi, leurs pensées, leurs œuvres, leurs outils de labourage et leurs maisons.

Mon arche reposait dans un triple sanctuaire, derrière les voiles de pourpre et les candélabres allumés. J’avais pour me servir toute une tribu qui balançait des encensoirs ; j’avais un plafond fait avec des poutres de cèdre, — et le grand-prêtre, en robe d’hyacinthe, qui portait sur sa poitrine des pierres précieuses rangées dans un ordre symétrique.

Malheur ! malheur ! Le Saint des Saints s’est ouvert. Le voile s’est déchiré, l’arche est perdue et les parfums du sacrifice sont