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la mort.

Goûte-les ! et tu verras au fond de la coupe vide l’éternelle grimace de ma tête de mort.

Ne sens-tu pas ton âme remplie de vapeurs nauséabondes, qui s’élèvent comme les fumées d’un cratère ? Le vent les roule et il n’y paraît plus. Ton désespoir ne dure pas. Le soleil, en passant, te sèche les larmes sur la figure. Tes résolutions, tes convoitises, ta vertu, ton ennui, tout s’effiloque à ras de terre, comme le bord de mon linceul. J’en recouvre le genre humain ! j’en embarrasse tous ses mouvements ! Mon squelette craque entre ses bras dans les étreintes de l’amour, et le dernier terme de sa joie, c’est d’en vouloir mourir.

Mais
la luxure
passe sa tête rieuse sur l’épaule de la Mort, où le fil de son collier se brise ; et les grosses perles arrachées coulent une à une dans les plis du linceul. Elle dit :

Qu’importe ! je fais pousser des fleurs sur les tombeaux, et l’universalité des choses tourbillonne dans mon amour, comme de la poussière au soleil !

Antoine tressaille ; elle se rapproche de lui, et, le touchant à l’épaule, légèrement :

Vois-tu là-bas ce petit sentier, dans les sables ? Il te conduira jusqu’à la porte des villes, qui sont pleines de femmes. Je te donnerai la plus belle, une vierge, — tu la corrompras et elle t’adorera comme un dieu, dans l’ébahissement de sa chair vaincue. Cours donc ! voilà ses vêtements qui s’envolent, — et, tout étalée parmi des coussins d’écarlate, elle lève en l’air ses deux bras nus, pour t’étreindre sur son cœur.

la mort.

Regarde plus près, au pied de la colline, ce grand euphorbe ? Brise ses rameaux et suce tes doigts !… et puis tu resteras tout étendu… tu ne sentiras plus rien… Tu ne seras plus rien !

antoine
immobile, blême et claquant des dents.

Laquelle suivre ?…

J’ai comme un besoin de vomir la vie, — et cependant je halette d’un appétit désordonné ! La chaleur, ô Luxure, qui