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il ronfle, on voit son gros ventre s’abaisser et monter ; Antoine, assoupi, s’agite et se retourne.
Cependant sur les rochers se dessine l’ombre du Diable, qui fait des signes comme pour appeler quelqu’un, et la Luxure, courbée en deux, marchant sur la pointe du pied, et tenant dans sa bouche le devant de sa robe, s’avance avec un sourire contenu. Ses bras sont nus, elle a sur la tête une couronne de boutons de roses tout humides. Se baissant à terre, elle se rapproche de saint Antoine, et se met à lui gratter la plante des pieds ; le cochon se réveille.
le cochon.

Je ne connais rien de plus désagréable au monde. Qu’il est fâcheux d’être réveillé de cette façon ! Ah ! ça me ferait du bien, pourtant, si j’avais là quelque bonne truie aux fesses pointues ! Si je la tenais !… Oh ! oh ! mais c’est trop fort ! cela me tire dans le dos, comme si depuis le croupion jusqu’à la nuque toute la moelle de mon échine était un câble que l’on tendît avec une manivelle.

antoine
se levant sur le coude et reconnaissant la Luxure.

Ah ! c’est toi, encore ! je ne pensais guère à toi, va, laisse-moi tranquille, va-t’en !

La Luxure lui passe la main sous le vêtement.
le cochon.

Je voudrais bien me reposer, ça me tourmente… si je savais un moyen…

antoine.

Non, laisse-moi, finis, va-t’en !

La Luxure continue à le vouloir chatouiller.

Va-t’en, mais va-t’en donc ! tu ne me fais pas peur, je sais comment te chasser.

Il lui donne de grands coups de pied dans la figure.

Tiens, tiens, en as-tu assez ? t’en iras-tu ? Ah ! ah ! tu t’apaises ? fuis, cache-toi… arrière !

La Luxure finit par disparaître.

Enfin ! la voilà partie ! je vais être mieux maintenant.