même détournent la tête sans rien dire, de peur que l’épée du légionnaire ne vienne, la nuit, fouiller les berceaux endormis.
Si, plus forts un moment, ils ont pu s’échapper à leur tendresse, oh ! Antoine, personne, en revanche, n’a jamais su sous quels navrements se noya leur âme lorsqu’il a fallu mourir, ni les voix aimées qu’ils entendaient à travers le rugissement des léopards, ni leurs atroces jalousies à propos des familles applaudissantes, et tous les vagues horizons de félicités terrestres qui passaient, avec le ciel du soir, sous la courbe des arcades, ni les remords désespérés qui ont effacé leur martyre, ni avec quels reniements du Christ ils se sont vengés de leur vertu !
Le chrétien n’est pas sur la terre pour en cultiver les joies, pour les donner ni les recevoir ; sa vie à lui est large et détachée, il a la foi pour épouse, le monde pour famille, la pénitence pour patrimoine, il doit continuellement sentir dans son âme quelque chose de béant et d’inassouvi, quelque chose qui déborde l’existence et qui n’y puisse appartenir.
Affamé du ciel, il perdrait le désir de Dieu si la terre une seule fois pouvait rassasier son espérance.
Ils ont raison, nous savons cela, nous autres, du temps que nous vivions chez nos maris, nos cœurs étouffaient.
Aux banquets de famille, quand les parents assemblés entrechoquaient les coupes en chantant de vieilles chansons, sérieuses et le coude sur la table, à mesure que de leurs cœurs la gaieté s’épanchait plus joyeuse, une amertume sans nom envahissait les nôtres.
Il ne fallait pas, disaient-ils, nous échappant dès le matin sans litière ni suivante, courir jusque dans les tavernes chercher les belluaires et les geôliers. Nos anneaux, nos bracelets, nos colliers, nous donnions tout pour visiter les confesseurs ; la nuit se passait avec eux, nous récitions des psaumes, nous parlions des anges ; nos époux, pendant ce temps-là, se tourmentaient à la maison. Comme ils furent colères, le jour qu’ils surprirent dans nos vêtements des petits linges ensanglantés qui avaient séché sur nos poitrines !
Le soir, quand nous récitions nos prières, ils attendaient derrière nous, frappant du pied dans la chambre. Oh ! que nous avons pleuré souvent dans leurs étreintes, lorsqu’à force de baisers, malgré nous, ils rappelaient sur nos lèvres notre âme envolée vers Dieu !
Ah ! mère du Christ ! Ils ont cassé en morceaux les délicatesses fines de notre pauvre pudeur, et avec leurs passions troublé la