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hélène
se réveillant comme d’un songe.

Ce que j’ai à dire, ô père…

simon.

Parle ! D’où viens-tu ? où étais-tu ?

hélène
jette des yeux égarés sur ce qui l’entoure, elle lève la tête au ciel, se recueille un instant et commence d’une voix couverte :

J’ai souvenir d’un pays lointain, d’un pays oublié ; la queue du paon, immense et déployée en ferme l’horizon, et, par l’intervalle des plumes, on voit un ciel vert comme du saphir. Dans les cèdres, avec des huppes de diamant et des ailes couleur d’or, les oiseaux poussent leurs cris pareils à des harpes qui se brisent ; sur la prairie d’azur les étoiles dansent en rond. J’étais le clair de lune, je perçais les feuillages, je me roulais sur les fleurs, j’illuminais de mon visage l’éther bleuâtre des nuits d’été.

antoine
à Simon lui faisant signe qu’elle est folle.

Ah ! ah ! je vois ce que c’est ! quelque pauvre enfant que vous aurez recueillie.

simon
le doigt sur la bouche, bas.

Chut !

hélène
reprend.

À la proue de la trirème, où il y avait un bélier sculpté qui, à chaque coup des vagues, s’enfonçait sous l’eau, je restais immobile, le vent soufflait, la quille fendait l’écume. Assis à mes pieds il disait : « Que m’importe s’ils s’arment tous, si je trouble ma patrie, si je perds mon empire ! tu vas venir dans ma maison, nous vivrons ensemble. » Ménélas en pleurs agita les îles, on partit avec des boucliers, avec des casques, avec des lances, avec des chevaux blancs, qui piaffaient d’effroi sur le pont des navires. Ah ! qu’elle était douce la chambre de son palais ! Il passait dans les corridors embaumés, sur la pourpre des lits d’ivoire il se couchait à midi, et pendant que sur mon pouce tournait le