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les gnostiques.

C’est l’enfant des Éons, l’époux d’Akaramoth repentie, le père du Démiurge qui fit le Cosmocrator et l’Antropos.

Antoine effrayé se bouche les oreilles, pousse un cri, et la foule des Hérésies s’entr’ouvre pour donner passage au chœur des Ophites, portant un immense serpent-python à couleur dorée, avec des taches de saphir et des taches noires. Pour le maintenir horizontalement, les enfants le lèvent au bout de leurs bras, les femmes le retiennent sur leur poitrine, les hommes l’appuient contre leur ventre.
Ils s’arrêtent devant saint Antoine et forment, avec le serpent qu’ils déroulent, un grand cercle ouvert, à l’entrée duquel se tiennent un vieillard en robe blanche pinçant de la lyre et un enfant nu jouant de la flûte. Au milieu une danseuse, vêtue d’un caleçon de plumes de paon et les cheveux noués par un aspic, qui du front, lui coulant sur l’épaule pour s’entortiller à son col, laisse retomber entre ses seins sa tête qu’il dresse en avant quand elle danse, balance au mouvement de sa taille, sur les bras levés.
Sur un air doux et joyeux, quoique plein de lenteur, les Ophites commencent.
les ophites.

C’était lui, c’est lui encore, ce sera lui toujours ! Ses spirales sont les cercles des mondes échelonnés ; de la bave de ses dents découle le suc des plantes, aux taches de sa peau les métaux ont pris leur couleur, quand il dort c’est la nature qui rumine, de ce qu’il mange rien n’est rendu, il absorbe tout, comme l’éternité.

Le long du tronc, qu’entouraient ses vertèbres, il montait ; sa peau gluante se collait en traînant sur l’écorce polie ; il montait, et les feuilles se racornissaient à son haleine ; quand il eut passé par toutes les branches il reparut ; sous sa peau tendue les os de son crâne s’écartèrent, il ouvrit la mâchoire, et du bout de la branche le fruit tomba.

Il le retint sur ses dents, et les lèvres retournées, le cou pâmé, il montrait au soleil le fruit d’or cueilli.

Puis il s’abaissa comme un arc-en-ciel qui descend, et suspendu par la queue au tronc du grand arbre, il balançait devant le visage d’Ève sa tête sifflante aux paupières enivrées.

Elle le suivait attentive.

Il s’arrêta, fixa sur elle ses prunelles, sur lui elle fixa les siennes ; la poitrine d’Ève battait, la queue du serpent se tordait, le Zéhon qui coulait interrompit ses eaux, un lotus s’ouvrit, les dattes des palmiers mûrirent, une sueur fluide passa ; et elle tendit la main.

Il était bon le fruit superbe ; elle en pompa le jus, elle en dévora la chair, elle en croqua les pépins, elle en ramassa l’écorce pour s’en parfumer la poitrine.