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ruaient sur la table du Seigneur et qui renversaient les vases sacrés.

la logique.

Ah ! tu veux interpréter les songes comme ferait un prêtre de Baal ! sois plus simple, Antoine ; tu te tourmentes l’esprit, c’est l’orgueil qui t’agite.

antoine.

Mais non, puisque je ne songe qu’à l’écraser ; s’il m’en restait, serais-je si bas ?

la logique.

Celui qui toujours pense à l’orgueil en est rempli.

antoine.

Quelle atroce idée j’ai eue là ! Eh quoi ! Jamais donc je ne saurai où j’en suis ? si je recule ou si je m’élève, si je mérite ou si je démérite ? Tout ce que je crois le meilleur à faire tourne à ma perdition et à mon supplice.

la logique.

Par ta faute… ne t’inquiète pas tant des œuvres. Qu’importe l’action ? toujours engagée dans un but, issue d’un besoin, passive de la matière où elle se meut, bonne aujourd’hui, mauvaise demain et partout égale à elle-même, soit qu’on l’admire ou qu’on la blâme, a-t-elle en soi une valeur native ? Si c’est la Foi d’où elle procède, qu’as-tu besoin du torrent ? monte à la source ; là tu boiras l’eau pure dans la coupe du Seigneur qu’il tient pleine pour ses élus.

antoine.

Oui, l’action est mauvaise, je l’ai senti souvent, mais je discerne pourtant qu’elle a parfois des côtés justes.

la logique.

Non, elle résulte du mal, c’est le Diable qui l’a faite ; elle est du domaine de la chair, de la force et du hasard. Tu jeûnes, tu t’agenouilles, tu te mortifies, mais y a-t-il de la pureté dans le jeûne ? Pourquoi la prosternation serait-elle sainte ? La cendre où tu dors est-elle plus bénie que les mosaïques où d’autres dansent ? Crois-tu, pour prier le Seigneur, qu’il faille être tourné vers l’Orient ou vers le Temple, avoir les bras levés ou croisés, être