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jour, avec ton couteau tu lui ouvriras la veine, en ayant soin de ne pas perdre le sang qui servira à faire du boudin, ensuite tu le dépèceras en quartiers, que tu feras cuire sur des charbons. Oh ! la bonne odeur ! et comme elle est douce au palais, la chair chaude et salée qui se colle contre les gencives !

l’envie.

Beau festin, ma foi ! Si encore c’était une femelle, tu mangerais ses tetines ! Mais ça ! N’y a-t-il pas de meilleures choses au monde ? Si tu avais, entourée d’herbes mouillées, l’huître de Naples frémissant sous le doigt dans sa coquille ouverte ; si tu prenais, tout sortant du four, les gâteaux de maïs au safran dont la croûte est blonde ! Le foie des tourterelles s’écrase mou comme la polenta et vous revient aux narines ; au milieu du raisin mûr les pépins pointus sont couchés dans leur jus vert ; la peau des pêches, à la voir, fait saliver la langue. Vive la viande rouge ! le vin blanc, le pain tendre !

Tu souffres, tu pleures, la nuit est chaude, dans ton outre l’eau croupit ; il y en a d’autres, Antoine, qui maintenant, attablés et riant d’être ensemble, mangent et boivent.

Ils se tournent sur le coude et tendent la coupe à l’enfant léger qui, circulant autour des lits, verse de sa buire un long jet de falerne ; ils ont des mets assaisonnés d’aromates qui parfument le ventre, et ils ne savent, en les goûtant, de quelles chairs on les a faits, à cause de toutes les saveurs qui les composent. Pour mieux humer ensuite les vins indiens, ils croquent sous leurs dents la neige tassée qui transsude à travers l’ambre et pose sur sa polissure comme un brouillard d’argent.

la logique.

Pourquoi n’y es-tu pas ? valent-ils mieux que toi ? À chacun son tour ! qu’ils jeûnent maintenant, bois à leur place, à eux de servir le Seigneur, à toi de jouir de ses dons.

Antoine a soif et boit.
l’envie.

Tu souffres, tu as soif, la nuit est lourde ; d’autres maintenant, attablés et joyeux, mangent et croquent la neige dans des patères d’argent.

antoine.

Oui, oui ! cela est vrai.