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vieillit dans la pénitence ! Il avait raison le vieil anachorète mon maître, qui me disait de chercher plutôt le martyre ! Je l’ai cherché, les bourreaux ont ri et ils m’ont rejeté à la face cette existence misérable que je m’ingéniais à leur offrir. Alors j’ai quitté les villes, j’ai remonté les montagnes et je me suis enfermé dans cette vieille citadelle de Colzim, où les nuits je m’éveillais au bruit des vipères et à la clameur des spectres qui arrivaient comme de la neige par les créneaux délabrés. Comment mes os n’ont-ils pas fondu sous leurs haleines ? Comment mon sang ne s’est-il pas gelé de terreur, lorsque, flottant dans les vertiges, je sentais la mort m’envahir ! Je me roulais sur les épines des aloès, les ongles de fer de ma discipline ne dérougissaient plus, la faim me broyait le ventre ; mais quelque chose d’indomptable riait quand je pleurais, chantait à travers mes sanglots, dansait dans mon sommeil.

Soupçonnant enfin qu’il y avait peut-être de l’orgueil dans ces combats, j’ai quitté ces abominables lieux et je suis venu ici. Les premiers temps, il est vrai, j’ai été plus calme ; peu à peu cependant une langueur a surgi : c’était une impuissance désespérante à rappeler ma pensée, qui m’échappait malgré les chaînes dont je l’attachais ; comme un éléphant qui s’emporte, elle courait sous moi avec des hennissements sauvages ; parfois je me rejetais en arrière, tant elle m’épouvantait à la voir, ou, plus hardi, je m’y cramponnais pour l’arrêter. Mais elle m’étourdissait de sa vitesse et je me relevais brisé, perdu.

Un jour, j’entendis une voix qui me disait : Travaille ! et depuis lors je m’acharne à ces occupations niaises qui me servent à vivre, le Seigneur le veut !

Il se retourne et aperçoit tout à coup l’ombre de la croix qui a dépassé la pierre.

Ah ! misérable ! qu’ai-je fait ? Allons vite, vite, en prières ! Eh bien, je jeûnerai deux jours de suite, je resterai à genoux jusqu’à la nuit close. Allons ! Allumons la lampe, compagne de mes prières nocturnes ; elles veillent à sa lueur et, comme elle, finissent seulement le matin venu, alors que sa mèche pâlit dans l’huile, et qu’alourdie de fatigue, ma tête roule sur ma poitrine.

Il va dans sa cellule chercher deux cailloux qu’il frappe l’un contre l’autre, enflamme une feuille sèche et allume la petite lampe qu’il raccroche à la muraille.
La nuit est presque venue.

Quelquefois j’ai éprouvé des délectations ineffables à rester à cette place sans bouger, sentant pleuvoir sur moi les rafraîchissements célestes… il y a des gens qui prient pour prier, sans songer à leur salut, qui s’humilient pour s’humilier ; mais moi,