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Quand l’ombre de la croix aura atteint cette pierre, j’allumerai la lampe et je commencerai mes oraisons.

Il se promène de long en large, doucement, les bras pendants.

Le ciel est rouge, le gypaète tournoie, les palmiers frissonnent ; sur la crotte de porc voilà les scarabées qui se traînent ; l’ibis a fermé son bec pointu et la cigogne blanche, au sommet des obélisques, commence à s’endormir la tête passée sous son aile ; la lune va se lever.

Demain le soleil reviendra, puis il se couchera, et toujours ainsi ! toujours !

Moi, je me réveillerai, je prierai, j’achèverai ces corbeilles que je donne à des pasteurs chaque mois pour qu’ils m’apportent du pain ; ce pain, je le mangerai ; l’eau qui est dans cette cruche, je la boirai ; ensuite je prierai, je jeûnerai, je recommencerai mes prières, et toujours ainsi ! toujours !

Oh ! Mon dieu ! Les fleuves s’ennuient-ils à laisser couler leurs ondes ? La mer se fatigue-t-elle à battre ses rivages ? Et les arbres, quand ils se tordent dans les grands vents, n’ont-ils pas des envies de partir avec les oiseaux qui rasent leurs sommets ?

Il regarde l’ombre de la croix.

Encore la largeur de deux sandales, et ce sera le moment de la prière. Il le faut !…

Mais pourquoi, dès que j’ai quitté le travail, ne commencerais-je pas mes exercices ?

Une tortue s’avance entre les rochers.

Puisque je suis libre cependant, pourquoi ne ferais-je pas un peu ce que je veux ? Ne convient-il pas d’établir un intervalle entre les occupations manuelles et les spirituelles ? Et d’autant qu’en travaillant je suis toujours occupé de quelque sainte pensée, je peux bien me reposer une minute et donner à mon corps un peu de soulagement dont j’ai tant besoin.

La tortue reste immobile, Antoine la considère.

Vraiment cet animal est fort joli. Mais je n’ai rien pour toi, pauvre mignonne !… c’est drôle ! On dirait qu’elle va parler… non, elle s’éloigne, la voilà qui se dandine sur ses pattes… ah ! Elle s’arrête… tiens ! Elle s’endort… je suis bien fatigué, ce soir, mon cilice me gêne. Comme il est lourd !

Il soupire et étend les bras.

Cela fait bien de ne rien faire du tout.

Quelle vie que la mienne ! Les jours sont longs pour celui qui