Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.

saïques de la cour ? Puis, devenus grands, ils suspendaient à notre poitrine leur bulle d’or ou de cuir.

Quel bonheur, quand, le soir d’un triomphe, le maître en rentrant tournait vers nous ses yeux humides ! Il racontait ses combats ; et l’étroite maison était plus fière qu’un palais et sacrée comme un temple.

Qu’ils étaient doux les repas de famille, surtout le lendemain des Feralia ! Dans la tendresse pour les morts, toutes les discordes s’apaisaient ; et on s’embrassait, en buvant aux gloires du passé et aux espérances de l’avenir.

Mais les aïeux de cire peinte, enfermés derrière nous, se couvrent lentement de moisissure. Les races nouvelles, pour nous punir de leurs déceptions, nous ont brisé la mâchoire ; sous la dent des rats nos corps de bois s’émiettent.

Et les innombrables dieux veillant aux portes, à la cuisine, — au cellier, aux étuves, se dispersent de tous les côtés, — sous l’apparence d’énormes fourmis qui trottent ou de grands papillons qui s’envolent.
crépitus
se fait entendre.

Moi aussi l’on m’honora jadis. On me faisait des libations. Je fus un dieu !

L’Athénien me saluait comme un présage de fortune, tandis que le Romain dévot me maudissait les poings levés et que le pontife d’Égypte, s’abstenant de fèves, tremblait à ma voix et pâlissait à mon odeur.

Quand le vinaigre militaire coulait sur les barbes non rasées, qu’on se régalait de glands, de poix et d’oignons crus et que le bouc en mor-