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des meubles de velours ; il se figurait les salons où elles allaient, le soir, décolletées, en diamants, avec des fleurs, les oreillers garnis de dentelles où elles posaient leur tête, les grands parcs qu’elles avaient l’été, et les allées sablées où marchaient leurs pieds.

Mais à chaque joie qu’il rêvait, une douleur nouvelle s’ouvrait dans son âme, comme pour expier de suite les plaisirs fugitifs de son imagination.

Étourdi du bruit des rues et de toute cette cohue d’hommes qui s’agitait autour de lui sans qu’il participât à ces actions et à ces mouvements passionnes, il s’éprenait tout à coup de désirs paisibles, souhaitait vivre loin de tout cela, à cent lieues d’une ville, dans quelque petit village ignoré, assis au revers d’un coteau, à l’ombre des chênes, pour y exister et y mourir plus inconnu que le plus humble des mortels.

Rentré chez lui, il n’allumait pas sa bougie, mais il faisait un grand feu et s’asseyait devant à regarder le bois brûler. C’était un grand feu clair, qui éclairait le plafond et se mirait dans les glaces ; la flamme bourdonnait, une rougeur moirée ondulait sur les charbons, parfois des étincelles s’élançaient en spirales en éclatant comme des fusées, et Henry alors pensait à des choses si douces, si anciennes, si profondément tendres, qu’il en venait à sourire.

Grâce au charbon de terre, aux cheminées à la prussienne, aux bûches économiques et aux calorifères de toutes sortes, ils n’existent plus ces vénérables foyers antiques, où l’on entrait tout debout, quand, après une longue chasse d’hiver, on venait s’asseoir dans une des niches pratiquées aux côtés, attendant que les oies et les quartiers de mouton qui tournaient à la broche fussent cuits pour le souper, pendant que, de temps à autre, un valet cassait de la bourrée sur son genou et la jetait au feu qui la tordait et la dévorait, et qu’assis sur leur train de derrière, les lévriers mouillés se chauffaient le dos en bâillant.