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quets de dix francs, cadeaux qui le ruinaient ; il s’habillait avec recherche, il se peignait vingt fois par jour, il se faisait friser et puis se défrisait avec soin, pour donner à sa chevelure un air élégant et négligé ; il se lavait les dents avec une eau parfumée, il s’en lavait le cou et les mains, il faisait des toilettes pour l’attendre, quand il supposait qu’elle devait venir.

Elle venait. Quelquefois c’était le matin, encore en bonnet de nuit, dans sa robe flottante et sans corsage, avec la fraîche odeur du linge fin, le visage clair, lavé d’eau froide, les mains roses et les pieds dans de petites pantoufles de peau brune recouverte de fourrures. Cette femme-là, vraiment, était d’un ragoût étrange, sa peau exhalait d’elle-même un parfum doux, vapeur de beauté qui monte à la tête comme le bouquet de vins fameux ; son pied avait cent mignardises que trahissait sa chaussure, et l’on pressentait sous son vêtement des délicatesses sans nombre : taille vigoureuse propre aux bonds soudains et aux élasticités déchirantes, bassin large, hanches saillantes et rondes, seins durs, ventre souple, et toute la force de la santé, et toutes les grâces de la langueur, et toutes les voluptés de la femme mûre.

Souvent Henry, sortant du dialogue et emporté par l’âge, l’étreignait avec fureur et la couvrait de ces regards de flamme, où tout le cœur flamboie, plus suppliant qu’un condamné, plus doux qu’une colombe. Il adorait surtout ses cheveux, elle lui laissait passer sa main dessus, il caressait cette ébène unie et la lissait sous ses lèvres. Elle lui disait :

— Enfant ! — elle l’appelait toujours enfant — ta folie t’emporte. Pourquoi te faut-il plus que mon cœur ? Je n’ai rien à te donner au delà. Aimons-nous d’un chaste et pur amour, à quoi bon ces liens de la chair ou se prennent les natures viles ? Est-ce là ce que tu m’avais promis ?