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la tête sur ses seins, humait le parfum de sa peau et sentait son cœur se fondre.

Se redressant tout à coup, elle s’écarta de lui.

— Grand Dieu ! qu’ai-je fait ? qu’ai-je fait ? dit-elle d’une façon plaintive et désespérée.

Henry bondit et lui rendit son baiser.

— M’aimes-tu ? disait-elle, m’aimes-tu bien, Henry ? dis-le moi… dis-le moi encore… jure-le moi…

— Et toi, répondait-il, m’aimes-tu aussi ? Oh ! dis-moi que tu m’aimes !

Et sans pouvoir parler, avec ses faibles mains, elle lui pressait les siennes, les doigts entrelacés dans ses doigts.

— Non… laisse-moi… je t’en conjure… laisse-moi… ne me touche pas… ne m’approche pas… je m’en vais…

Elle se dégagea de lui.

— Je t’en supplie, ne me regarde plus ! tes yeux me font souffrir… Oh ! mon Dieu ! on nous a vus peut-être !… si quelqu’un entrait !… tes rideaux n’étaient pas fermés ! Que vais-je devenir !… Adieu, adieu, laisse-moi partir, ne me retiens pas… oui je reviendrai ce soir, tantôt, bientôt… Adieu, adieu… Oui, oui, je t’aime, mon Henry !

Et de la porte elle lui envoyait mille baisers.

Resté tout stupide dans sa joie, et savourant dans son âme le goût nouveau de ces caresses, Henry ne savait que devenir ; il avait peur de remuer, peur de lever la tête, il frissonnait comme épouvanté.

Peu à peu le calme lui revint, et la conscience de son bonheur s’éveilla. Son image par hasard s’offrit à lui dans la glace, et il se trouva beau, plus beau qu’un homme. Il se leva et il se sentit fort, assez pour renverser le monde à lui seul. Elle l’aimait ! il s’aimait lui-même, il était grand, il était magnifique, il dominait tout, il pouvait tout, il aurait volé avec les aigles, il se fût jeté à la gueule des canons. L’univers lui ap-