Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Henry, ne sachant trop que dire, répondit par des choses assez insignifiantes.

— Ah ! vous vous ennuyez, mon pauvre Henry ! dame ! je crois bien, mais vous vous y ferez ; il faut venir souvent dîner avec moi, nous causerons ensemble, nous rirons un peu, la vie est courte, de bons moments passés avec des amis sont une bonne chose.

Henry le remercia et commença à l’aimer ; il se rappelait que chez son père, lorsqu’il était enfant, il y avait dix ans de cela, et que venait Morel, celui-ci lui plaisait assez par sa gaieté et ses airs faciles, quoiqu’une certaine raillerie inintelligente l’empêchât d’avoir pour lui cette passion profonde et toute particulière que les enfants conçoivent de suite pour l’homme, qui devient dès lors leur type et leur idole.

— Quelle dégoûtante littérature ! fit Morel en lançant sur sa table le livre qu’il tenait à la main.

Et il sortit une jambe du lit et passa une botte.

Henry regarda le titre du roman, c’était un de ceux qu’il aimait le plus, il ne répondit rien, mais il rougit jusqu’aux oreilles.

— Est-ce que vous lisez ça ? demanda Morel.

Henry avoua que oui.

— Eh bien, pour moi, je suis votre serviteur, je trouve ça trop stupide, répondit Morel.

« Imbécile » ! se dit Henry en lui-même.

Morel passa la seconde botte et continua à parler tout en s’habillant. À parler de quoi ? est-ce que cela se demande ? Jetez un chat par la fenêtre, il tombera sur ses pattes ; renfermez deux hommes dans une chambre, ils causeront de femmes, pour ne pas dire plus, c’est à qui mentira le mieux et étalera complaisamment les théories les plus libidineuses ; il n’y a que les cagots et les grands voluptueux qui se taisent. J’ai aussi connu des hommes vierges qui brillaient par leur cynisme, des enfants à peine développés dont la parole eût fait rougir un vieux juge, Morel était de ce