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il se rappela la nonchalance de sa posture et toute la grâce de son visage. Prêt à se coucher, il s’arrêta au bord du lit, on eût dit que quelqu’un s’y était déjà étendu. C’était elle qui s’était appuyée dessus, pour regarder le portrait de Louise ; les draps étaient un peu tirés d’un côté, le couvre-pied était dérangé… Il entra dedans avec précaution, avec crainte, en tressaillant, obéissant machinalement au singulier instinct de ne pas défaire ce désordre.

Mille choses douces le bercèrent, à demi endormi, et, la nuit, il rêva qu’il se promenait avec elle sous une grande avenue de tilleuls, qu’ils se tenaient les bras entrelacés et que sa poitrine se rompait. Alvarès rêva de longues chevelures de femmes pâles qui lui effleuraient tout le corps. Mendès aussi rêva… il rêva qu’il se mourait sur les seins nus d’une Chinoise.

VIII

jules à henry.

« Voilà quinze jours que je n’ai reçu de lettre de toi ; que deviens-tu ? que fais-tu, cher Henry ? pourquoi ce long retard ? Il fut un temps où, quand nous avions été tout un jour sans nous voir, c’était un jour triste ; comme ton oubli m’en fait passer de pareils ! Penses-tu à moi toujours ? Quand tu es parti, quand j’ai vu la diligence t’emmener, je suis rentré chez moi, vide et désolé, comme si la moitié de mon cœur s’en était allée ; j’ai pleuré longtemps et d’autant plus amèrement que ça a été la première grande douleur de ma vie. Tu es à Paris, toi, tu mènes une autre vie, tu vas peut-être faire de nouveaux amis, tu vas aller dans le monde, tu trouveras une femme qui t’aimera