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Loin du triste fléau, je cours vers mes foyers.
Déjà, de toutes parts, les humains effrayés
Jetaient jusques aux cieux des plaintes déchirantes ;
Pères, mères, enfants, époux, tendres amantes,
Sous le chaume expirants, surpris dans les chemins,
Ensemble moissonnés, accusaient les destins !
L’un, pressant dans ses bras sa compagne accourue,
Lui donne en son délire un baiser qui la tue ;
L’autre, brûlé de feux et de rage éperdu,
Met la coupe à sa lèvre, et meurt sans avoir bu ;
Ici, c’est un vieillard à qui la Parque envie
Quelques heures de plus qu’il aurait dans la vie ;
Là, des mères qu’aveugle un effroi criminel
Repoussent leurs enfants loin du sein maternel.
Ô doux liens du cœur ! humanité ! nature !
Plus de lois ! plus de frein ! tout marche à l’aventure.
Sur un maître expirant l’esclave déchaîné
Exerce la fureur de son bras forcené,
À la virginité la soldatesque impure
Sur le bord de la tombe imprime la souillure ;
Mais du fléau commun punissant chaque amant,
Le ciel sous le plaisir glisse le châtiment,
Et, frappés sur le corps de leurs faibles victimes,
Ils meurent enivrés en expiant leurs crimes.
Partout enfin l’on voit d’odieux scélérats
Assouvir leurs instincts en face du trépas,
Tandis qu’aux saints autels la foule prosternée
Entoure de ses vœux la sourde destinée,
Ou maudissant le monde, elle-même et les dieux,
Fait trembler les parvis de ses cris furieux.
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Mais… où suis-je ?… est-ce un jeu de mon âme abusée ?
Des objets à mes yeux la forme est effacée !…
Je sens par tout mon corps des frissons… des chaleurs,
Et mes yeux malgré moi se remplissent de pleurs.

Ismène.

Qu’avez-vous ?

Hermance.

Qu’avez-vous ? Qui vous trouble ?