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Hermance.

Oui ! c’est la nuit qu’il vient, fantôme gracieux,
Peupler ma solitude et flotter à mes yeux.
De mes bras caressants j’entoure son image,
Je crois sentir ma lèvre effleurer son visage,
Et d’un secours furtif aidant la volupté,
Je goûte avec moi-même un bonheur emprunté.

Ismène.

Je comprends ces ardeurs, j’ai connu ce délire
Que le sang vigoureux à la jeunesse inspire.
Comme vous enflammée et belle comme vous,
Madame, on a besoin des baisers d’un époux.
Le ciel, qui nous donna la faiblesse en partage,
A voulu qu’en retour nous aimions davantage ;
Et si de la pudeur l’obstacle impérieux
N’arrêtait en leur cours nos désirs furieux,
Qui sait, qui sait, madame, oubliant la décence,
Où des sens égarés irait l’effervescence ?…
Nous aimons, on nous aime, et les hommes aussi
Par un moyen semblable apaisent leur souci.
Nourrissant un amour qui n’a pas d’espérance,
Il en est qui pour vous soupirent en silence
Et dont la passion, fertile en dévouement,
Peut-être effacerait celle de votre amant !…
J’en pourrais nommer un…


Scène V.

Elfrid.

J’en pourrais nommer un… Pardonnez, belle Hermance,
Et ne supposez point que mon indifférence
Loin de vous jusqu’alors ait retenu mes pas ;
Je saurais, pour vous voir, affronter le trépas,
Endurer le supplice et mourir avec joie ;
Mais les tristes pensers dont votre âme est la proie,
Un père vénérable aux portes du tombeau,
Semblent couvrir de deuil un entretien si beau.

Hermance.

Sans doute le destin dont la rigueur m’accable