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Le théâtre représente le vestibule du palais de Gonnor, donnant sur ses appartements et sur ceux de sa fille Hermance. On remarque, suspendues aux murs, les dépouilles des Calédoniens vaincus. Au fond, on voit de superbes jardins, ornés d`amours, d’ifs taillés et d’agréables berceaux de verdure.

ACTE PREMIER


Scène première.

Jenner, seul.

Dévoré de soucis, j’abandonne ces lieux
Où l’illustre Gonnor, fils d’illustres aïeux,
Étendu sur sa couche, à la douleur en proie,
Enlève de ces bords et l’espoir et la joie.
Quoi ! vingt ans incliné sur d’arides travaux,
J’ai de la race humaine étudié les maux ;
Des produits bienfaisants qu’engendre la nature
Vingt ans j’ai contemplé la forme et la structure ;
Sur les coteaux fleuris, dans les sombres forêts,
Ravissant de ma main la plante des guérets,
Plongeant un œil hardi dans les flancs de Cybèle,
Sondant de toutes parts la nature rebelle,
Et, poussé jusqu’au bout par un sublime effort,
Pour connaître la vie interrogeant la mort,
J’aurai donc vainement, depuis ma tendre enfance,
Des siècles disparus épuisé la science,
Pour ne pouvoir, hélas ! inutile instrument,
D’un prince malheureux soulager le tourment !
Ce funeste fléau qui désole nos rives
Et peuple les enfers de victimes plaintives,
Faisant de ce palais un funèbre tombeau,
Offre de ses rigueurs un exemple nouveau.
Ah ! les cœurs les plus purs et les plus nobles têtes
Ne sont point à l’abri du souffle des tempêtes !
Épouvantable mal, dont l’effet redouté
S’il n’enlève la vie enlève la beauté ;
De la vierge, par lui, j’ai vu le doux visage,
Horrible désormais, nous présenter l’image
De ce meuble vulgaire, en mille endroits percé,
Dont se sert la matrone en son zèle empressé,
Quand, aux bords onctueux de l’argile écumante,
Frémit Le suc des chairs, en mousse bouillonnante.
Hélas ! qui peut lutter contre les coups du sort ?
Pour ravir à Pluton l’infortuné Gonnor