Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mlle Aglaé qui ne le comprenait pas. Mme Émilie ne disait rien, Mendès regardait Mme Dubois. Les deux lampes à la Carcel filaient.

Au dessert la conversation devint générale, elle roula sur la littérature. Il fut question de l’immoralité du drame et de l’influence incontestable qu’il a exercé sur tous les criminels modernes ; on blâma beaucoup Antony, à la mode dans ce temps-là ; on cita pour rire quelques vers d’Hernani ; on fit quelques pointes, on vanta Boileau, le législateur du Parnasse. M. Renaud en récita même par cœur quelques apophtegmes, tels que : « Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable » ou : « Cent fois sur le métier… » ou : « Sans le style en un mot… » et autres raretés poétiques. Vint ensuite le parallèle obligé du doux Racine et du grand Corneille, suivi de celui de Voltaire et de Rousseau. Après quoi la littérature de l’empire fut mise en pièces par Ternande et par Henry, qui réclamaient pour l’art, tandis que les hommes graves, les hommes de quarante à cinquante ans, protestaient pour le goût et pour la langue. On parla encore de V. Hugo, de Mlle Mars, de l’Opéra-Comique, de Robert le Diable, de l’Opéra, du cirque, et de la vertu des actrices, et des prix Montyon qu’elles obtiennent. Ternande était très exalté, il était rouge, il parlait beaucoup, il vantait la Tour de Nesle ; M. Lenoir, M. Dubois, M. Renaud le plaignaient et ricanaient ; Henry était grave, et s’entretenait de Jocelyn tout bas avec Mlle Aglaé ; Mme Dubois regrettait le bon temps de la Comédie et Talma dans Manlius ; Mendès regardait Mme Dubois.

Le vulgaire champagne arriva, ce vin essentiellement français, qui a eu le malheur de faire naître tant de couplets, français comme lui et ennuyeux comme lui. Le maître de la maison, avec le pouce, ébranla le bouchon gonflé dans le goulot de la bouteille. Il partit — toutes les dames crièrent de surprise — s’élança au plafond, et retomba sur une cloche à